DIGITAL URBAN CARAÏBES
De nos jours, le bruit est partout. Mais pas nécessairement plus fort qu'avant. Au sonomètre, les coups de marteau des artisans médiévaux affichent 120 décibels, autant qu'un avion qui décolle à une distance de 300 mètres ! "Ce n'est pas le volume qui a augmenté, mais notre niveau d'exigence.", explique Béatrice Millêtre, docteure en psychologie. "Nous vivons dans une société où tout doit être parfait, sans aspérités. On ne supporte ni les bruits, ni les mauvaises odeurs, ni les détritus. Tout ce qui nous sort de notre zone de confort est considéré comme une nuisance." Même des sons naturels, tels des éclats de rire ou des pleurs d'enfants, dérangent. S'il s'agit des enfants des autres... La tolérance est aussi une question d'habitude. En Asie, les habitants sont bien moins gênés par les bruits de la circulation. Nos ancêtres du Moyen Âge seraient sans doute saisis d'angoisse s'ils débarquaient en 2018. Reste à savoir ce qui les effrayerait le plus : le vacarme des voitures ou l'aridité de nos liens sociaux ?
LES BIENFAITS DU SILENCE
Souvent dévalorisé dans nos sociétés, le silence a pourtant de nombreuses vertus. Il est essentiel à notre santé et permet de prêter l'oreille à notre vie intérieure.
Churchill, fin négociateur, connaissait le pouvoir du silence. En mail 1940, alors qu'Hitler vient d'envahir la France, la Belgique et les Pays-Bas, lord Chamberlain pense à lord Halifax pour le remplacer au poste de Premier ministre d'Angleterre. À l'évidence, les qualités de chef de guerre de Churchill le prédisposent plutôt, lui, à devenir chef du gouvernement. Pourtant, par devoir, il accepte d'intégrer seulement le cabinet d'Halifax. Au moment de confirmer officiellement son engagement, il observe un silence appuyé. Au bout de deux minutes de blanc, Halifax prend la parole : "Je crois que c'est Winston Churchill qui doit être Premier ministre." Ces quelques minutes de silence ont donc changé le cours de l'Histoire. "Si on l'écoute, le silence nous parle et nous renseigne sur l'état des lieux et des êtres.", confirme l'écrivain Marc de Smedt dans Éloge du silence.
LORS D'UNE DISCUSSION, LES JAPONAIS OBSERVENT UNE PAUSE DE QUELQUES SECONDES ENTRE CHAQUE PRISE DE PAROLE
Le silence absolu n'existe pas dans la nature. Même dans les chambres sourdes, on entend les sons de son propre corps. Léger, triste, pesant ... Le silence se décline et revêt des sens variés. Les Japonais, qui apprécient peu les bavards, estiment que, pour être agréable, une conversation doit comprendre une pause de quelques secondes à chaque engagement de locuteur. Peut-être y décèlent-ils le sens profond de ce qui vient d'être dit ? "Dans ce pays, on apprend aussi aux enfants, dès leur plus jeune âge, à se retirer en eux-mêmes.", précise le sociologue David Le Breton.
Des pères du désert aux ermites bouddhistes, le silence est célébré dans tous les courants de sagesse humaine. "Dans les traditions premières, la mise à l'écart provisoire intervient dans le cadre du processus initiatique, quand l'enfant doit prendre conscience du fait qu'il devient un adulte (...) : ce n'est pas au milieu du groupe qu'il pourra réfléchir et se fortifier intérieurement", note Frédéric Lenoir dans son Petit Traité de vie intérieure. De même, avant toute prise de décision importante, le chef de la tribu ou le chaman passent plusieurs jours seuls avec eux-même ou en communication avec les forces surnaturelles. Ils acquièrent ainsi la lucidité nécessaire pour arbitrer.
"Le silence est indispensable à l'écoute de notre vie intérieure", écrit Christophe André dans la Vie intérieure. Pourtant, il est mal toléré en Occident. "La société nous pousse à agir, puisqu'elle a besoin de nous pour fonctionner. Elle culpabilise les temps d'inaction. Elle pousse aussi à consommer, et fait la chasse au temps de non-consommation", explique t-il. Nous donnons la priorité à l'urgent et délaissons ce qui est important. "L'urgent, c'est ce qui nous tire par la manche et nous vaudra une sanction - et beaucoup de bruit - si nous ne le prenons pas en compte, reprend Christophe André. Nous n'avons plus de place pour l'important, qui souvent demande du temps et du discernement : marcher dans la nature, rencontrer ceux qu'on aime, méditer... Nous passons ainsi à côté de l'essentiel. Parce que l'essentiel ne fait pas de bruit." Et si nous réapprenions à écouter le silence ?
QUAND LE BRUIT N'ÉTAIT PAS UN ENNEMI
On pense que le niveau sonore dans l'environnement ne fait qu'augmenter au cours des siècles. Mais c'est aussi notre tolérance au bruit qui a changé.
Dans notre monde si bruyant, le silence vaut de l'or. Ainsi pour attirer les clients, la chaîne hôtelière Relais du Silence promet "une échappée où vos sens s'éveillent". Et sur une annonce immobilière, la mention "quartier du calme" fait automatiquement grimper le prix du bien. Assommé par le tumulte de nos villes, on file se réfugier à la campagne pour retrouver le silence. Ou plutôt les sons de la nature, ceux qui nous évoquent un "avant", où le bruit était moins présent. Du moins, c'est ce qu'on imagine...
En réalité le bruit a toujours accompagné la vie de l'être humain. En se basant sur des documents historiques, Mylène Pardoen, archéologue du paysage sonore, a reconstitué l'ambiance du quartier du Grand Châtelet, à Paris, vers 1750. Les hennissements des chevaux, le bruit de leurs sabots sur les pavés se mêlant aux cris des marchands et des bateliers... Mais ces bruits ne sont pas perçus comme des agressions. "Avant la montre et le GPS, ils sont un repère spatiotemporel fondamental", explique la spécialiste. Des coups de hache ? On approche de la rue de la Grande Boucherie. Le cliquetis d'une imprimerie ? Nous voilà rue de Gesvres. Chaque église a aussi un son de cloches bien particulier. Dans les campagnes, c'est leur carillonnement qui rythme les journées. Les paysans chantent en travaillant, et les cris des animaux sont omniprésents. Tout comme les roulements de tambour qui précèdent les crieurs, venus annoncer les dernières ordonnances royales. Et preuve que le bruit n'est alors pas un élément perturbateur : au théâtre, le public n'écoute pas religieusement comme aujourd'hui, mais hue les comédiens ou les applaudit à tout rompre. "Nos théâtres étaient des lieux de tumulte", écrit Diderot en 1758.
L'INDUSTRIALISATION FAIT APPARAÎTRE DE NOUVEAUX SONS, CEUX DES MACHINES
Du Moyen-Âge au XVIIIème siècle, le silence est rare mais il existe. C'est dans les églises qu'il faut le chercher. Comme le résume l'historien Alain Corbin dans Histoire du Silence, De la Renaissance à nos jours, " le silence est condition nécessaire de toute relation avec Dieu". Certains ordres monastiques, tel que celui des chartreux fondants au XIème siècle, imposent de faire voeu de silence.
Le XIXème siècle marque un tournant. Avec la modernisation de la société, la ville chante et ses sons aussi. Les journaux remplacent les crieurs ; les abattoirs quittent les centres- de Paris, Marseille ou Lille sont réaménagés et leurs rues élargies, ce qui dilue et unifie le bruit. L'industrialisation fait apparaître de nouveaux sons, ceux des machines. Le rapport au bruit aussi change.
POURQUOI LES SONS NOUS AGRESSENT-ILS AUJOURD'HUI ?
De nos jours, le bruit est partout. Mais pas nécessairement plus fort qu'avant. Au sonomètre, les coups de marteau des artisans médiévaux affichent 120 décibels, autant qu'un avion qui décolle à une distance de 300 mètres ! "Ce n'est pas le volume qui a augmenté, mais notre niveau d'exigence.", explique Béatrice Millêtre, docteure en psychologie. "Nous vivons dans une société où tout doit être parfait, sans aspérités. On ne supporte ni les bruits, ni les mauvaises odeurs, ni les détritus. Tout ce qui nous sort de notre zone de confort est considéré comme une nuisance." Même des sons naturels, tels des éclats de rire ou des pleurs d'enfants, dérangent. S'il s'agit des enfants des autres... La tolérance est aussi une question d'habitude. En Asie, les habitants sont bien moins gênés par les bruits de la circulation. Nos ancêtres du Moyen Âge seraient sans doute saisis d'angoisse s'ils débarquaient en 2018. Reste à savoir ce qui les effrayerait le plus : le vacarme des voitures ou l'aridité de nos liens sociaux ?
L'hygiène et le calme deviennent les nouvelles normes ; le bruit, un marqueur social. "Les élites, observe l'historien Jean-Pierre Gutton dans Bruits et sons de notre histoire, s'appliquent à ne pas hausser la voix, à parler bas, et l'imposent à leur entourage." Les bourgeois réorganisent leur habitat pour préserver leur besoin de calme, créant par exemple des chambres pour les enfants. Même les bruits de la rue sont visés. "Il y a eu une volonté de la bourgeoisie de faire disparaître des villes les sons qu'elle juge insupportables", explique l'architecte et acousticien Olivier Balaÿ. A Lyon, en 1823, on interdit aux ouvriers chargés de curer les fosses d'aisance durant la nuit de chanter ou de crier pour ne pas troubler les riverains.
Pendant la Première Guerre Mondiale, les obus déchirent les tympans des poilus et dégradent l'image du bruit dans l'imaginaire collectif. La première arme contre le bruit, la boule de cire Quies, est d'ailleurs inventée peu après, en 1921. Le silence, lui, devient synonyme de respect, de dignité : l'armistice du 11 novembre, d'abord célébré au son des cloches et des coups de canons, est commémoré par une minute de silence dès 1922.
Dans la seconde moitié du XXème siècle, les loisirs se développent, accentuant la recherche de calme chez une population de plus en plus urbaine. Mais les sons nouveaux émis par les marteaux-piqueurs ou la télévision du voisin dérangent. La circulation des voitures, dont le nombre est passé de 2 millions en 1950 à 39 millions aujourd'hui, devient continuelle, même à la campagne où l premier tronçon d'autoroute est inauguré en 1954. La guerre contre le bruit est déclarée. A Paris on interdit l'usage du Klaxon et, en 1972, 57 brigades de police et gendarmerie sont équipés de sonomètres pour évaluer les bruits excessifs. A la même époque, des conflits de voisinage pour "tapage" éclatent, allant jusqu'au tribunal. A la campagne, des coqs accusés de chanter trop tôt font même l'objet d'une décision de justice !
DES ARRÊTES PREFECTORAUX SONT PRIS POUR REDUIRE LE TAPAGE NOCTURNE
Depuis la première loi antibruit, adoptée en 1992, la lutte contre la pollution sonore est devenue un combat quotidien. On insonorise les maisons, on achète des casques isolants pour travailler en open space. En 2001, pour limiter les bruits de la fête à Rennes, le préfet avance la fermeture des bars, de 2 heures à 1 heure du matin. En 2017, le niveau sonore maximal des concerts est fixé à 102 décibels contre 105 auparavant. Selon Alain Corbin, "grâce à l'action de militants, de législateurs, d'hygiénistes, de techniciens qui analysent les décibels, le bruit de la ville, devenu autre, n'est sans doute pas plus assourdissant qu'au XIXème siècle". Mais les nuisances sonores, elles, sont désormais subies à la ville comme à la campagne, toute l'année.
Depuis une vingtaine d'années, les bruits du numérique sont venus s'ajouter à la cacophonie ambiante. Aujourd'hui, 77% des Français possèdent un smartphone et l'utilisent en moyenne 27 fois par jour. Connectés en permanence, nous sommes partout accompagnés par le bruit. Faut-il pour autant le fuir à tout prix ? Pas sûr. Le romancier américain George Foy, auteur de Zero Decibels, a quitté New York pour chercher le silence total. Il a fini par le trouver dans une chambre totalement sourde où il n'a pas tenu plus d'une heure. "Personne n'a vraiment envie du silence absolu, conclut-il. Il faut veiller à s'accorder des temps calmes pour sortir de temps en temps du bruit qui nous entoure." Encore faut-il en avoir la possibilité.
LE SILENCE GARDIEN DE NOTRE SANTE
Les preuves de l'impact du bruit sur l'organisme s'accumulent, démontrant, en creux, combien le calme est vital.
En 2014, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a placé la pollution sonore au deuxième rang des facteurs de risques environnementaux, juste après la pollution atmosphérique, au point d'évoquer une épidémie de surdité. Alors, chut ... prenons soin de nous.
LE BRUIT NOUS CASSE LES OREILLES
"Comme on prend un coup de soleil, on prend des coups de sons", détaille Jean-Luc Puel, directeur de l'Institut des neurosciences de Montpellier. "A chaque exposition à des niveaux sonores élevés, on vient entamer son capital auditif : des cellules ciliées sont détruites et les fibres auditives altérées." Ces dernières envoient alors des messages aberrants au cerveau, qui les interprète comme un son : l'acouphène ! " Il n'existe aucune statistique officielle en France, mais les études nord-américaines montrent que 10% de la population souffre d'acouphènes chroniques. Et selon un sondage récent réalisé pour l'association Journée nationale de l'audition, 52% des 15/24 ans ressentent ou ont déjà ressenti des acouphènes. Le coupable ? Le smartphone !
Sept jeunes sur dix l'utilisent pour écouter de la musique plus d'une heure par jour et 50% s'endorment avec. La majorité a tendance à monter le volume au-delà de 85 décibels (dB), seuil à partir duquel le son est dangereux. La fréquentation de lieux très bruyants (boîtes de nuit, évènements sportifs, bars...) est également incriminée.
Dans 80% des cas, les acouphènes sont liés à une perte d'audition. Selon l'OMS, 1,1 milliard d'adolescents et de jeunes adultes sont menacés de surdité précoce. L'oreille humaine en bonne santé montre les premiers signes de vieillissement à partir de 25 ans ! "On commence par perdre les fréquences les plus aigües, détaille Jean-Luc Puel. Les sons deviennent plus ternes, on entend moins les oiseaux, puis la perte d'acuité auditive touches les fréquences du langage, on demande aux autres de répéter... Théoriquement cette étape intervient vers 60/65 ans, mais de plus en plus, elle apparaît avant 50 ans.
LE SILENCE PROTEGE NOTRE SOMMEIL
Avec les problèmes d'audition, un sommeil non réparateur est l'un des premiers effets du bruit sur la santé. "Au-dessus de 40dB (l'équivalent d'un chuchotement), on commence à observer des troubles du sommeil", détaille la psychiatre Agnès Brion, vice-présidente du Réseau Morphée. Cela se manifeste par un retard à l'endormissement et un réveil plus précoce". Mais pas seulement ! Pendant le sommeil, notre cerveau continue d'analyser les bruits environnants. Au-delà d'un certain seuil, variable selon les individus, le bruit va modifier les cycles du sommeil, diminuant la durée du sommeil profond et des phases de sommeil paradoxal. "La qualité du sommeil et son pouvoir récupérateur sont alors altérés, poursuit la somnologue. On se réveille avec le sentiment d'être fatigué."
LE BROUHAHA EST SOURCE DE STRESS
"A ce jour, nous ne disposons d'aucun suivi à long terme permettant d'établir un lien direct entre le bruit et les affections cardiaques et vasculaires, admet Agnès Brion. Mais un large faisceau d'indices nous permet d'affirmer que le bruit est un facteur aggravant." Une étude portant sur les riverains d'aéroports a montré que la combinaison des troubles du sommeil et de l'exposition chronique au bruit induit une libération excessives d'hormones de stress (telles la cortisone, les catécholamines...). Ce stress chronique entraîne à son tour une augmentation de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, etc. "Le système nerveux est alors constamment en état d'alerte, détaille la spécialiste. De grandes études européennes ont révélé une augmentation des cas d'hypertension artérielle, d'infarctus du myocarde ou encore d'accident vasculaire cérébral chez les personnes exposées à des nuisances sonores chroniques de plus de 55 dB."
NOUS AVONS BESOIN DE CALME POUR APPRENDRE
Des chercheurs de l'université du Wisconsin ont montré que le bruit de fond incessant (télévision, conversation entre adultes, trafic routier à proximité) empêche les tout-petits d'apprendre de nouveaux mots. Dans les écoles, le problème est connu de longue date, et l'OMS recommande de ne pas dépasser 35 dB en bruit de fond pendant les cours pour ne pas perturber les performances cognitives des élèves (mémorisation, lecture, réalisation d'exercices, etc). Cependant, selon une étude menée par le Centre d'information et de documentation sur le bruit, 73% des élèves de quatrième et troisième affirment que leurs professeurs sont obligés de hausser la voix pour se faire entendre en classe.
LE SILENCE EST LA CLE DE LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL
Dans un open space, le bruit est l'ennemi numéro un. Plusieurs études soulignent que l'augmentation du niveau sonore est en corrélation avec l'absentéïsme, et sa diminution avec le bien-être au travail. La nouvelle norme fixe entre 48 et 52 dB le seuil à ne pas dépasser dans ce type de bureaux. "Une limite très difficile à tenir, surtout dans les centres d'appels", juge Nicolas Trompette, expert acoustique à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). En effet, il faudrait 15 mètres carrés par personne, or l'usage est de leur octroyer 6 mètres carrés en moyenne... L'impact du bruit sur la concentration est, lui, établi : une récente étude menée par l'INRS a montré une baisse de 10 à 15% des performances des salariés auxquels on avait donné une liste de mots à mémoriser dans un environnement sonore de 55 dB.
DANS LE VACARME, NOTRE SYSTEME IMMUNITAIRE FONCTIONNE MAL
Même à l'hôpital, le bruit ne cesse d'augmenter. Une étude réalisée dans un établissement du Maryland révèle que le niveau sonore entre 1967 et aujourd'hui est passé le jour, de 57 à 72 dB, et, la nuit, de 42 à 60 dB. "C'est très proche de ce que nous avons relevé dans différents hôpitaux français, alors que l'OMS recommande de ne pas dépasser 35 dB dans les chambres des patients," relève Gilles Souet, expert du bruit à l'agence régionale de Santé Centre-Val-de-Loire. Il a été prouvé que l'exposition au bruit augmente notamment le délai de cicatrisation, les risques infectieux et les délais de séjour. Gilles Souet a également fait des relevés dans différents services de néonatalogie : "Nous observons 65 dB en moyenne dans certaines couveuses, avec des pics à 100 dB." En cause : la multiplication des machines et des technologies.
L'échelle des décibels (dB) est logarithmique : passer de 20 à 30 dB revient à multiplier par 10 la puissance sonore. Entre 40 et 50 dB (volume "normal" d'une conversation), le bruit a déjà des conséquences sur la concentration ... Au-delà de 80 dB (rue à fort trafic), le risque pour la santé est important. La douleur, elle, apparaît vers 120 dB (bruit d'un coup de feu).
UN PARISIEN PERD HUIT MOIS DE VIE EN BONNE SANTE - Fanny Mietlicki, directrice de Bruiparfi, observatoire du bruit en Île de France
COMMENT LE BRUIT EST-IL MESURE ?
Nous combinons mesures sur site, modélisation et enquêtes auprès des usagers. Pour la modélisation, nous tenons compte des sources de bruit (trafic routier, ferroviaire, aérien, industrie ...) et de la manière dont il se propage, selon la topographie, l'implantation des bâtiments, la nature du sol ...
QUELLES SONT LES PRINCIPALES SOURCES DE BRUIT EN VILLE ?
Dans nos enquêtes, les sources de gêne les plus citées sont le trafic routier et les bruits des voisins. Mais si l'on cumule, tous les modes de transport, le trafic représente 85% de la gêne ressentie. On estime qu'un Parisien perd en moyenne huit mois de vie en bonne santé du fait de son exposition au bruit des transports. Le coût social global (absence au travail, frais médicaux, perte de valeur immobilière...) de la pollution sonore en Île-de-France a été évalué à plus de 16 milliards d'euros par an.
COMMENT LES VILLES REAGISSENT-ELLES ?
Des observatoires du bruit existent notamment à Paris, Bruxelles ou Madrid. Depuis 2002, les agglomérations de plus de 100 000 habitants (47 en France dont 14 en Île de France) ont l'obligation d'établir des cartes du bruit et des plans de gestion. Des revêtements acoustiques de la chaussée ont été testés sur le périphérique parisien, dès 2012. Ils ont fait baisser le bruit, sur la route, d'environ 8 dB, l'équivalent d'une réduction de 70% du trafic.
COMMENT IL APAISE NOTRE ESPRIT
Le silence favorise la concentration et la créativité. Il aide aussi à se sentir davantage en paix avec soi-même et à savourer pleinement l'existence.
Dans notre monde rempli de mots, de musique, de bruits divers, le silence reste, pour beaucoup, synonyme d'ennui, de deuil, d'absence ... Même si l'on se plaint du vacarme ambiant ! Dans son livre Eloge du silence, Marc de Smedt, spécialiste des méditations, raconte les confidences d'une sexagénaire veuve, laissant parfois deux télés allumées dans son appartement afin d'y entendre des sons partout où elle passe. "La peur du silence, ici, c'est la peur de la solitude", estime-t-il. Mais s'immerger dans le silence, c'est aussi ralentir. Or "quand on lève la tête du guidon, on se reconnecte à soi, et beaucoup n'ont pas appris à le faire de façon constructive", explique Kankyo Tannier, nonne bouddhiste zen, professeure de chant et de méditation. Faute d'oser nous confronter à notre intériorité, nous fuyons donc sans cesse le silence, à coup de distractions diverses ... Pourtant, lorsqu'on sait le savourer, il est riche de bienfaits.
En japonais, l'adjectif shizuka signifie aussi bien "silencieux" que "calme, serein, apaisant." Et justement, le silence apaise. Des chercheurs de la faculté de médecine de Pavie, en Italie, ont même constaté que ses vertus apaisantes dépassent celles d'une musique relaxante ! Lors d'une expérience consistant à comparer le potentiel de différentes musiques sur la régulation du stress, ils ont mesuré les paramètres cardio-vasculaires de 24 personnes pendant l'écoute de morceaux de styles et de rythmes variés. Les résultats, publiés en 2005 dans le journal Heart, ont révélé que les deux minutes de silence nécessaires au changement de morceau généraient un ralentissement de la respiration, du rythme cardiaque, et une baisse de la pression sanguine plus importante que celle observée pendant la diffusion de la musique ! "Le silence fait taire l'agitation et la fébrilité, il permet de nous "remettre en ordre", confirme le psychiatre Jean-Christophe Seznec. Pour décompresser et se reconnecter à ses sens après une journée de travail, je conseille un "sas" de silence." L'occasion d'observer un petit rituel : mettre des vêtements confortables, prendre une douche, faire une marche ...
LE CALME ET LA SOLITUDE SONT PROPICES A LA CREATIVITE ET L'INSPIRATION
"Il y a une quinzaine d'années, le silence était encore une évidence, constate le sociologue David Le Breton. Aujourd'hui, il est continuellement profané : bruit des conversations téléphoniques du voisin, sonnerie des notifications diverses de nos outils numériques, bruit - auditif ou visuel - des publicités, omniprésentes ... On ne peut plus penser." Or s'il est possible de se concentrer dans le brouhaha d'un café, plusieurs études ont montré que les vraies interruptions - lorsque quelqu'un s'adresse à nous, par exemple - entraînent une baisse de concentration et de performance. Gloria Mark, professeure à l'université de Californie et spécialiste de l'attention au travail, a établi qu'il faut ensuite vingt-trois minutes pour regagner son niveau initial d'attention ! A contrario, selon la "théorie de la régénération de l'attention" proposée dans les années 1980 par Stephen Kaplan, psychologue à l'université du Michigan, une pause au calme, dans la nature, permet de retrouver ses capacités de concentration. La méthode a fait ses preuves sur des étudiants mais aussi sur des femmes atteintes d'un cancer du sein, dont l'attention était affectée par la fatigue et le stress dus à la maladie.
Le compositeur et trompettiste de jazz Miles Davis affirmait : "La véritable musique est le silence, et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence." Ecrivains, peintres, scientifiques ... De nombreux artistes et intellectuels ont célébré le calme et la solitude, propices à l'inspiration. "Le silence permet à l'esprit de battre la campagne sans que rien ne l'arrête", observe David Le Breton, grand adepte de la marche dans la nature. Or le cerveau, lorsqu'il goûte au repos, est loin d'être inactif. Un réseau particulier de connexions neuronales entre des régions éloignées les unes des autres se met alors en place. Ce "mode par défaut", décrit pour la première fois par Marcus Raichle, neurologue américain, serait impliqué dans la connaissance de soi, la mémoire autobiographique, les processus sociaux et émotionnels et ... la créativité. D'où l'appétit des artistes et des penseurs pour les moments de rêverie silencieuse.
La divagation de l'esprit peut cependant conduire le mental à s'emballer. Le réseau "mode par défaut" est d'ailleurs hyperactif chez les personnes souffrant de dépression, lesquelles ont tendance à ressasser leurs idées noires." Lorsqu'on est dans le silence, de nombreuses pensées, positives ou négatives, affluent, témoigne Kankyo Tannier. Or notre société confond souvent le bonheur avec un état de félicité où tout irait bien, tout le temps. De plus, elle valorise l'action. Les êtres confrontés à des idées triste ou angoissantes ont donc tendance à "chercher des solutions", ce qui conduit à s'accrocher à ces pensées négatives au lieu de passer à autre chose."
Le vrai silence est donc très différent de l'absence de bruit ! "S'il suffisait, pour goûter à la paix intérieure, de passer deux heures par jour dans un caisson d'isolation sensorielle, cela se saurait !" s'amuse Kankyo Tannier. Pour vivre le silence profond, il faut parvenir à faire taire nos voix intérieures, à calmer le flot de nos pensées, à cesser de se projeter pour s'ancrer dans l'instant. Plusieurs techniques peuvent y aider.
ACCEDER AU SILENCE INTEREUR PERMET AUSSI D'ETRE PLUS OUVERT AUX AUTRES
La méditation bouddhiste dite vipassana (terme indien signifiant "voir la réalité profonde des choses") propose en guise d'initiation des stages de dix jours, ouvert à tous, dans le silence complet. "Le silence n'est pas une fin en soi. Il aide simplement à mieux prendre conscience de son bruit intérieure", explique Kim Vu Dinh, enseignant au centre Dhamma Mahi, dans l'Yonne. Au cours de dix heures quotidiennes de méditation, on apprend à développer sa concentration à l'aide de sa respiration naturelle, puis à observer ses sensations corporelles, agréables ou désagréables, sans essayer de s'en débarrasser ni de les retenir. "Cela aide à se rendre compte que ces sensations sont connectées à des pensées, à des émotions, vis-à-vis desquelles on est en réaction permanente dans en avoir conscience", détaille l'enseignant. On réalise aussi que ces sensations ne durent jamais, et l'on cesse de leur accorder autant d'importance. Au bout de dix jours, les stagiaires constatent en général que leur esprit est plus disponible, leurs décisions plus rapides. Ils se sentent plus connectés à eux-mêmes, libres de vie pleinement.
Le silence intérieur permet aussi de se connecter aux autres. " Le bavardage compulsif est une manifestation de nos angoisses, de nos projections dans le passé ou dans l'avenir. Il fait obstacle à l'échange réel", analyse Jean-Christophe Seznec. Une fois son esprit apaisé, il devient possible de contrôler le flot de ses paroles. On peut alors choisir, en conscience, de formuler ce qui fait vraiment sens pour nous, et laisser plus de place aux autres, et à l'échange véritable.
Pour ceux qui ne peuvent pas - ou ne souhaitent pas - se couper du monde pendant dix jours, il existe bien d'autres manières d'accéder au silence intérieure. Dès les années 1980, le biologiste américain Jon KabatZinn a élaboré une méthode pour réduire le stress inspirée de la méditation bouddhiste et basée sur la pleine conscience. Elles est aujourd'hui reconnue et adoptée par nombre d'hôpitaux et structures publiques (écoles, prisons ...) dans le monde. D'autres techniques, physiques (qi gong, tai-chi, danse ...) ou artistiques (calligraphie, chant ...) aident aussi à s'ancer dans l'instant présent, à se laisser traverser par la vie. On s'aperçoit alors que le bruit du monde n'est plus si gênant.
article trouvé en octobre 2018 sur ça m'intéresse ; écrit par trois femmes