DIGITAL URBAN CARAÏBES
QUAND LES ANIMAUX AIDENT À SOIGNER LES HOMMES
CHIENS, CHEVAUX OU OISEAUX SONT SOLLICITÉS POUR LEURS EFFETS BÉNÉFIQUES AUPRÈS DE PATIENTS SOUFFRANT DE MALADIES OU DE HANDICAPS MENTAUX
Texte Laurène Champalle - Mai 2018
Grand, massif, Stéphane traverse d'un pas lourd les galeries couvertes de l'hôpital psychiatrique Philippe-Pinel, à Amiens (Somme), et pousse une porte sur laquelle est écrit "Cyno-thérapie". Diagnostiqué schizophrène, et ancien militaire de 42 ans a rendez-vous pour sa séance hebdomadaire avec l'infirmier psychiatrique William Lambiotte et son équipe : Évie et Fatou, deux cavaliers king-charles, Zoé, un golden retriever, et Louna, un berger allemand. Stéphane va droit sur Évie, la prend délicatement dans ses bras, dépose un baiser sur sa tête. Elle se laisse faire, placide, et le regarde de ses grands yeux ronds. Stéphane repose Évie et s'installe ensuite à une table devant des crayons de couleur et un coloriage représentant un chien. Il s'applique pendant quelques minutes mais finit par relever la tête pour parler. Ses propos sont décousus. À plusieurs reprises, le soignant doit le rappeler à l'ordre pour qu'il finisse son coloriage. "Cet exercice lui demande un gros effort de concentration pour sortir du délire induit par sa maladie, explique William Lambiotte. Sans les quatre chiennes à ses côtés, les crayons voleraient dans toute la pièce. Avant, Stéphane était un patient ultra-violent, en proie à des bouffées délirantes, souffrant de paranoïa et de boulimie. Mais il a eu le coup de foudre pour Évie il y a sept ans. Les séances de cyno-thérapie l'ont transformé et lui ont certainement sauvé la vie." Aujourd'hui, Stéphane peut s'habiller sans aide, sortir de sa chambre et se rendre sans surveillance à la cafétéria de l'établissement.
DANS CERTAINS CAS, LA CYNOTHÉRAPIE PEUT ÉVITER LA PRISE DE MÉDICAMENTS
Comportementaliste et éducateur canin en parallèle, l'infirmier psychiatrique a mis à profit sa double compétence pour lancer cette activité singulière en 2010. Depuis cette date, lui et ses aides-soignantes à quatre pattes ont rencontré ici 267 patients psychotiques. Aussi bien des adultes que des enfants, souffrant de pathologies variées (schyzophrénie, troubles du spectre autistique ...), à qui les médecins ont prescrit des séances de cynothérapie pour qu'ils travaillent la stimulation sensorielle, leur motricité, leur capacité à communiquer et à apprendre. "L'animal donne l'occasion aux patients d'exprimer leurs sentiments", observe le sociologue Jérôme Michalon, auteur de Panser avec les animaux. "Contrairement aux humains, il ne juge pas, ce qui autorise le patient à libérer sa parole et ses émotions." Chaque chienne joue un rôle bien précis en fonction de sa personnalité. Évie suscite la sympathie de tous et crée une ambiance apaisée, propice à l'échange. Fatou, elle, sait ramener à la réalité les patients enfermés dans leur délire ou leurs angoisses : sur un signal discret de William Lambiotte, elle leur désobéit, les obligeant à plus d'attention. La docile Zoé aide à revaloriser ceux qui ont une faible estime d'eux-mêmes. Quant à Louna, au fort caractère, l'infirmier cynothérapeute la réserve aux patients dénués d'empathie ou en opposition : "Pour qu'elle collabore, ils vont devoir adapter leur comportement", précise-t-il. Les résultats sont-ils à la hauteur des attentes et des moyens mis en oeuvre ? "Les bénéfices varient selon les pathologies", affirme le psychiatre Cyrielle Guillaumont, chef de pôle à Philippe-Pinel. "On constate une diminution des troubles du comportement, une amélioration des états dépressifs et le retour d'une capacité à interagir avec le monde extérieur. Pour certains troubles, la cynothérapie permet d'éviter les traitements médicamenteux."
Même si Philippe-Pinel est le premier hôpital public français à proposer avec succès des séances de médiation animale prescrites sur ordonnance, la pratique n'est pas neuve. "Dès le XIXème siècle, en Allemagne et en Angleterre, des infirmières amènent des animaux auprès des patients dans des institutions psychiatriques, rappelle Jérôme Michalon. On commence à parler de "thérapie assistée par l'animal" à partir des années 1960, quand les premières recherches sont menées aux États-Unis par le pédopsychiatre Boris Levinson." Un jour, Levinson reçoit un jeune enfant mutique, arrivé en avance au rendez-vous. Le médecin n'a pas eu le temps de sortir Jingles, son chien, qui s'avance pour lécher le visage de l'enfant.
NOTRE CERVEAU SERAIT PROGRAMMÉ POUR ÊTRE SENSIBLE AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX
Ce dernier ne recule pas, semble intéressé par le chien. Levison a alors l'intuition de l'intégrer aux séances : il laisse l'enfant jouer avec Jingles et parvient peu à peu à entrer lui-même en communication avec son jeune patient. Les recherches de Levinson seront confirmées dans les années 1980 qui établit que les propriétaires d'animaux ont un taux de survie plus élevé après une opération cardiaque. En France, la fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer (abritée par la Fondation de France), actrice incontournable du secteur, a soutenu depuis 2003 quelque 600 projets de médiation animale sur le territoire. "Ce sont des programmes où l'animal intervient dans un cadre éducatif, social ou thérapeutique, auprès d'adultes et d'enfants, au sein de maisons de retraite, d'institutions spécialisées, de prisons ou d'établissements pour mineurs placés sous main de justice.", décrit Boris Albrecht, directeur de l'institution. "Les animaux médiateurs sont à 40% des chiens, à 40% des équidés (cheval, poney, âne) et à 20% des animaux de la ferme."
S'OCCUPER D'UN ÊTRE VIVANT RENFORCE SIGNIFICATIVEMENT L'ESTIME DE SOI
En 2006, avec l'aide de la fondation Sommer, l'institut médico-éducatif (IME) des Isles, à Auxerre (Yonne), qui accueille 60 enfants et adolescents déficients sévères ou autistes, a mis en place une petite ferme. Elle compte aujourd'hui trois chevaux, quelques moutons, des chèvres, des colombes, des lapins et un chien. Les possibilités d'échanges, encadrées par deux professionnels, sont multiples : lors des soins, du temps consacré à nourrir les bêtes tous les jours à heure fixe ou des promenades à cheval... "La présence des animaux crée une dynamique chez ces jeunes souffrant d'apathie, tout en développant les interactions sociales, le contact sensoriel et les relations affectives", décrit François Beaulieu, responsable de la ferme. "Par ailleurs, s'occuper d'un être vivant renforce l'estime de soi, encore plus lorsqu'on fait soi-même l'objet de soins : cela nous permet de changer de rôle."
D'autres animaux plus inattendus dont des merveilles comme médiateurs. Hubert Josselin, fauconnier et fondateur de l'association les Chouettes du coeur, intervient dans les IME et les maisons de retraite de Bourgogne et de Franche-Comté avec ses trois chouettes effraies, ses deux buses américaines, son hibou grand duc et son petit duc africain. "Placés en cercle, les résidents portent les rapaces, les font voler entre eux, les caressent, raconte Hubert Josselin. Au début ils hésitent, puis certains se lancent et les autres suivent. Les oiseaux focalisent l'attention de ceux qui étaient murés dans leur ennui, parfois mutiques : ils s'animent, se mettent à parler entre eux, à raconter leurs souvenirs. Ces rapaces qu'ils n'ont pas l'habitude de voir sollicitent les émotions et les souvenirs des malades d'Alzheimer."
Aujourd'hui, les thérapies par médiation animale sortent des maisons de retraite et des IME pour aider des publics de plus en plus diversifés. "On commence même à employer l'animal auprès de personnes saines", souligne l'ethologue et psychologue Marine Grandgeroge, maître de conférences à l'université de Rennes 1. Une psychomotricienne fait ainsi intervenir des chiens pour accompagner le développement moteur des tout-petits dans une crèche de Plonéour-Lanvern (Finistère). Et au lycée Chateaubriand de Rennes (Ille-et-Vilaine), une professeure de philosophie utilise des chevaux pour faire baisser le niveau de stress à ses élèves à l'approche du bac. Les animaux n'ont pas fini d'être les meilleurs amis des hommes.
Le sujet des maladies mentales me touchent énormément pour des raisons personnelles. J'ai dans ma famille été confronté à elles. Un membre de ma famille est devenu psychotique suite au départ de son meilleur ami. Nous vivions sous le même toit et ce fut une étape très difficile pour moi. J'ai également des cousin(e)s atteint d'autisme. Je pense, même qu'il y a quelques années, mon esprit aurait pu aussi vriller, chose qui me faisait extrêmement peur.
J'ai de nombreuses causes au coeur ; comme vous pouvez, je l'espère, l'entendre et le comprendre.